(2012) La sybille lybienne.

“Tu sais que ça me rend fou, moi j’aime quand tes mains froides viennent toucher mon cou. ” & Il sait très bien que c'est ce que la foule en délire attend à un enterrement de vie de garçon.
Les. Strip teaseuses.
Ca tient en deux mots, ça rend les mecs complètement dingues. Faut dire aussi, il est le dernier de sa bande à se marier (depuis l'temps qu'on attendait ça putain). Ca le fait sourire quand il se fait entraîner dans le motel. Un motel, aux alentours de Portland. Son témoin, un grand blond, baraqué, marié et divorcé, entraîne toute la cavalerie. Etrangement, Aédé reste un peu en retrait. Il a toujours été le moins à l'aise dans ce genre de soirées.
Il le sait, en arrivant à l'hôtel, y'aura une série de stripteaseuse prête à danser pour beaucoup d'argent. Pour lui, selon toute vraisemblance, y'en aura une spéciale (une host girl, une escort girl, whatever) qu'il pourra se taper si jamais l'aventure de l'adultère le tente avant le mariage.
Selon toute vraisemblance, ça se soldera par un bof.
Quand ils entrent dans le motel, tout est là. La bande de stripteaseuse dans l'immense suite (une suite dans un motel, on aura tout vu).
Y'en a une qui se détache des autres. Elle a les cheveux mi-long et bruns, ils ondulent très légèrement. Elle est pas très maquillée, elle a pas de hanches, pas vraiment de seins non plus. Pourtant elle dégage un sexe-appeal presque palpable.
Le regard d'Aédé se fronce, il ne le détache plus de cette belle jeune fille.
Son pote lui balance qu'elle est pour lui, toute la soirée, et par un hasard (non pas un hasard, par un enchaînement d'actions sur lesquelles il n'a pas d'emprises), il se retrouve dans une chambre privatisée avec elle, pendant que les autres profitent du reste.
Du coup il est là.
Il la regarde.
Elle porte un justaucorps noir, elle est en talon.
Il sait pas quoi lui dire, il regarde ses pieds.

aédé et ariel
"i wanna be a virgin pure,
a 21st century whore."

ça lui plaît pas. les racines commencent un peu à se pointer, c'est pas flagrant. pourtant à bien y regarder, à rien faire depuis plus d'une trentaine de minutes, à attendre le fameux client, ava s'emmerde. alors il s'attarde sur les détails, compte sur une main ou deux ce qui lui plaît pas dans la forme de son visage. refait un peu son rouge à lèvres pastel, replace un peu de tissu ici, là. faut être bien, faut être parfait, faut savoir convenir à une attente bien précise. et à bien y regarder, il pige toujours pas pourquoi c'est lui qui se retrouve ici, à devoir déballer les atouts pour les restes d'un enterrement de vie de garçon. il inspire, expire, pousse un soupir, raidit son dos. y'a un instant pourtant où les regards se croisent, où ça fait paf, ça fait boum, ça fait courant électrique le long de la colonne. un truc du genre la peur. ça doit être ça. ça bat trop vite d'un coup dans sa poitrine, ça s'emballe trop fort. il a peur de foirer son coup. pas grave, au pire des cas, ils ont déjà payé. faut croire pourtant qu'ava, ava il accorde de l'importance à peu de choses.
les talons c'est pas pratique.
en marchant il a peur de se casser la gueule, de se vautrer et de se bouffer le tapis en plein dans le nez. il détaille pas trop sur l'instant. jusqu'à ce qu'ils arrêtent, jusqu'à ce qu'ils se retrouvent deux dans une chambre. les mains derrière le dos, il décline un sourire, étire ses lèvres, penche sa tête sur le côté. le mode pimbêche lui plaît pas toujours. de haut en bas, de bas en haut.
- aédé, c'est ça ? sa voix transperce le vide. il prend conscience de sa carrure, il est grand, plus grand que lui en tout cas. il a le même air qu'un chien abandonné sur l'autoroute, dépité, fatigué. paumé, surtout. il tend pas la main vers lui, ce serait trop masculin. il claque pas la bise non plus. il pince sa lèvre inférieure, il a déjà pu visiter le terrain. tout va bien se passer. on m'a dit que c'était la première fois. alors... vous inquiétez pas trop, je compte pas vous manger ou quoique ce soit de ce registre. et quand ava bosse, il fait gaffe à bien prononcer les mots. c'est pas habituel, c'est pas normal. c'est que de l'apparence. je suis là pour vous. mais ça, ils ont déjà dû vous le dire. le rire fait vrombir un peu sa gorge. il sait pas si c'est nerveux ou sincère. un peu des deux.
aédé, c'est joli comme prénom.

“Tu sais que ça me rend fou, moi j’aime quand tes mains froides viennent toucher mon cou. ” & Finalement il se trouve con à regarder ses pieds comme un adolescent. Du coup il redresse le regard, fier et droit, comme un futur marié.
Il peut pas s'empêcher de la contempler.
Non seulement elle est belle, mais elle sourit. Et dès qu'elle sourit, son visage s'illumine à la folie. Il peut pas s'empêcher d'avoir un rictus presque attendri.
Oui il s'appelle bien Aédé (un nom à coucher dehors, mais le sien tant qu'on y est). Il la regarde, s'appuie un peu sur la porte et croise les bras. Il a une sacoche à l'épaule, il la garde. Première fois, oui pas faux, il a jamais eu à faire avec une escort girl. Il l'écoute parler (le timbre de sa voix aussi est charmant).
Tout est charmant en elle, à commencer par son attitude.
Puisqu'elle est là pour lui, il peut faire ce qu'il veut. Il se rapproche du pieu, pose sa sacoche, puis il se rapproche d'elle avec un petit sourire. " Demain j'me marie. Donc on fera rien." Il réfléchit un instant. Il prend son bras sans se gêner, sans chercher à faire dans la demi-mesure (de toute façon, autant s'en servir). Il regarde la finesse de son poignet (elle est toute fine). Il ne sait pas pourquoi ses amis ont cru bon d'inviter cette escort en particulier, mais ils ont tapé dans le mille.
Il balance : " Je peux vous croquer ?"

aédé et ariel
"i wanna be a virgin pure,
a 21st century whore."

il hausse les sourcils. il s'attend pas trop à ça. ça, là, ce qu'il vient de lui dire de but en blanc sans trop attendre que les hostilités soient entamés. c'est un stop. un stop si net que ça le laisse pantois une seconde, deux peut-être, tout au plus. il se fait tirer, ça lui arrache un vague sursaut au niveau des muscles. il comprend pas trop où il veut en venir. de toute façon, là, ava, il est pas en mesure de faire le malin. c'est pas ce qu'on lui demande. ce qu'on lui demande, à ava, c'est d'être un corps mis en vente sur le marché aux fantasmes, rien de plus. alors pour beaucoup ça marche pas des masses. y'a ceux qui préfèrent les plantureuses, les grandes, les blondes carabinées russes qui crachent un accent à couper au couteau. puis y'a quelques rares qui veulent des comme lui. plates, sans trop de formes. pour ava y'en a encore trop. mais ce soir c'est pas son débat, pas ce combat.
y garde le rictus.
le rictus délicat, à mi-chemin entre le félin et l'obligation. ça finira par passer. faut juste un temps d'adaptation. on dirait que c'est pas la quinzième fois qu'il fait ça, ava, il a les manières d'un débutant qui sait pas quoi faire de sa main. alors il préfère la jouer pantin. pincement de lèvre inférieure, il pige pas trop où il veut en venir, aédé.
- moi ? vous y trouverez pas grand-chose. des os, surtout. donc si vous voulez ronger les restes, ça vous concerne. c'est pas une conversation franchement normale, franchement banale qui peut se retrouver au détour d'un bar avec l'ambiance un peu calfeutrée, la chaleur des retrouvailles. ici y'a que la lumière qu'est rougie. il fait un pas, encore plus proche. le souffle est calme, paisible. on croirait un océan au petit matin. et fort bien... fort bien. fidélité vous appartient ! moi j'aurais plus qu'à me morfondre dans un coin. haussement d'épaules. les joues d'aédé sont un peu creusées. je peux faire la conversation si vous voulez, même si je pense pas être le plus intéressant- rajout de dernière minute. bug interne. -te. il a déjà piqué un verre, peut-être même deux. ça doit être la faute à l'alcool. il veut quand même essayer, tenter, s'y confronter, alors le bout de ses doigts vient frôler la mâchoire de l'autre, remontent un peu, retracent une forme bien lisible de son visage. il a été formé dans la roche, aédé, matière brute.
- désolé, déformation professionnelle.
le bras retombe le long de sa carcasse maigrelette, là où elle doit être. puisque ce soir, il se passera rien.

“Tu sais que ça me rend fou, moi j’aime quand tes mains froides viennent toucher mon cou. ” & Elle fait de l'humour, et ça lui va étrangement bien. Elle a l'air un peu ailleurs, comme si son boulot l'emmerdait profondément (ce qu'il peut compendre). (Lui aussi vit dans un monde où son job n'est pas, comme la société ou son lui de treize ans le voudrait, passionnant à en crever, du genre à rester au bureau pour faire des heures Sup'). (Peut-être qu'elle fait des heures sup', qu'est-ce qu'il en a à foutre de toute manière). De sa sacoche, il sort un carnet de croquis (pas très grand, il doit tenir planqué), ainsi qu'un crayon. Du genre de ceux qu'on peut acheter par pack de douze chez Hema, un crayon noir à pointe fine. Ses dessins sont toujours précis, nets, pas besoin de ratures ou autre.
Pourquoi ils ont voulu cette nana en particulier ...
Comment ont-ils pu deviner qu'elle lui ferait tant d'effet.
Intéressant. Hm. Elle est fatiguée.
Il prend une chaise, s'assoit dessus e la regarde d'en bas. Avec un regard malicieux, il lance : " J'veux bien un peu de conversation." Il attrape son crayon, la regarde droit dans les yeux. Il n'a pas peur de ce qu'elle pourra trouver dans son regard (tant pis si elle le juge, il est plus à ça près). Il lui lance : " Vous pourriez vous mettre à genoux, redressée droite sur le lit ?" Il est pas clair, il s'en rend compte au moment où les mots sortent de sa bouche.

aédé et ariel
"i wanna be a virgin pure,
a 21st century whore."

son fringue le colle un peu trop. c'est pas lui qu'a décidé d'être comme ça, tout menu et presque sans rien si ce n'est ce body sombre à manches à peine longue. c'est eux. ceux qui ont organisé tout ça, ceux qui ont voulu, ceux qui ont décidé. et molly, sa patronne, elle a pu admirer sa gueule se décomposer à l'entente de ce qui était désiré. c'est pas malin de choisir un boulot pareil, ni très avenant. faut passer outre, faut laisser tomber et oublier quelques secondes. faut qu'il se le dise, que ça, c'est pour son bien, que ça paie pas trop mal en plus - surtout quand ils rajoutent des bonus. c'est pas très digne. c'est toujours mieux que de faire le trottoir, capotes pas chères et trouées dans la poche à l'arrière du pantalon. froncement de sourcils, sa pensée se délite au moment où il l'ouvre encore. il se pose, aédé, sur une chaise, carnet pour appuyer son geste. la demande à la suite le laisse songeur ; il est étrange. ça dure pas plus de cinq secondes pour qu'il comprenne le manège, et faut dire ce qui est, y'a quelque chose de profondément flatteur à se savoir modèle de quelque chose, de quelqu'un.
il exécute.
sans trop réfléchir. être belle, se taire, c'est la doctrine de la maison, particulièrement chez les plus jeunes recrues qui se plaignent vite, ont pas les épaules. colonne bien droite, il en a profité pour enlever ses chaussures maintenant lâchées sur le sol. il pose ses doigts sur le bout de ses genoux. pas à l'aise, fixe l'horizon, la couverture, un bibelot, croise à peine le regard d'aédé - il ose plus.
- vous êtes artiste ? sans trop de conviction, le timbre est plus muet que souhaité. ou... vous avez des fantasmes un peu - atypiques ? bizarre c'est tabou, bizarre c'est niet. en général ça les bloque, ça les empêche d'aller dans le vif du sujet. ça chauffe dans ses veines. rien qu'à songer à le dire, ça lui pique les entrailles. pas trop le choix. je m'appelle ava. le tampon erreur de fabrication joue les néons sur son front. et dites-moi de quoi vous voulez parler alors, comme ça je suis sûr de ne pas vous ennuyer.

“Tu sais que ça me rend fou, moi j’aime quand tes mains froides viennent toucher mon cou. ” & Il essaye de se mettre à se place.
Elle doit rencontrer un inconnu, pour son enterrement de vie de garçon. Elle doit le charmer, elle doit faire en sorte qu'il rompe son engagement de mariage, la veille de celui-ci. C'est loin d'être une position enviable, clairement. Il la regarde enlever ses talons. Elle n'a pas de grâce. Ou si, une grâce étrange, presque atypique. La manière dont elle retire la sable de ses chaussures, la manière dont elle tire le lacet. La manière dont elle ...
Il divague. Elle se met à genoux, le buste droit, redressée, sur le lit. Sans ses chaussures elle a un air plus masculin.
Il divague, encore.
S'il est artiste ?
Non, certainement pas. Mais ça le fait sourire. Elle le fait sourire. Il s'installe confortablement sur la chaise, et d'un oeil, il commence à tracer des traits imparfaits sur sa feuille. Il détermine une silhouette, précise quelques détails. Son atout a toujours été la rapidité, il met peu de temps à mettre en oeuvre un croquis convenable.
Il aurait du être dessinateur. " A mes heures perdues. " Il marque un temps. Elle dit son nom. Il est beau, Ava, ça lui rappelle quelque chose. Mais il sait pas quoi. Elle demande de quoi il veut parler, et puis, il dit, d'un geste de menton : " Bah, parlez-moi de ce que vous de ce que vous faites de vos heures perdues. "
Elle a des racines blondes, ça lui rappelle.
Oh, Joy.

aédé et ariel
"i wanna be a virgin pure,
a 21st century whore."

le silence c'est pas toujours bon. le silence ça laisse place à d'autres choses. à des émotions contradictoires, à des délires qui germent à gauche, à droite. alors faut combler en balançant tout ce qui passe par la tête. faut savoir faire l'art de la conversation, et ça c'est une chose qu'ava sait pas forcément gérer. la manière de se placer pour attirer le regard, de papillonner des cils, de se maquiller de façon potable, tout ça, ça va. du reste c'est que de l'improvisation, et sans doute qu'il passerait pour ridicule une fois sur une scène. personne y croirait. le corps lui se tait, se fige même si son regard vacille d'un objet à un autre, lui donnant une importance plus grande en quelques secondes. création d'histoires rapides. création de rien. ava c'est pas un artiste, c'est pas quelqu'un qui sait dessiner. c'est juste une poupée barbie avec défaut de fabrication à la clef - et personne a eu la bonne idée de le jeter.
- rien d'intéressant en soi. petit rictus qui brise son masque de glaise. j'aime écouter la pluie quand elle tombe sur la ville. lire des bouquins. me percher dans des hauteurs. il passe pour un petit oliver twist. ça le fait se marrer un peu dans son menton juvénile. imaginer l'ailleurs. parce que le vrai ça réduit trop, parce que le vrai c'est ouvrir les yeux. et sans doute qu'ava aimerait fermer les siens, se laisser tanguer par des courants meilleurs.
- et malheureusement je n'sais ni dessiner, ni jouer d'un instrument, ni - rien de tout ça. un temps. alors je me contente d'être là, c'est déjà bien suffisant.

“Tu sais que ça me rend fou, moi j’aime quand tes mains froides viennent toucher mon cou. ” & Joy est blonde. Joy est blonde comme un tournesol, d'ailleurs elle les aime beaucoup ces fleurs, comme la femme du héros dans big fish. Mais lui n'aime pas ce film, trop de fantaisie et de couleur. Il préfère l'un, ou l'autre. La fantaisie en noir et blanc, la couleur en chiant. Il demande, un peu au hasard : " Vous aimez big fish ?" Question idiote, histoire de meubler, mais il se sent de devoir la poser. Il l'écoute parler, en dessinant. Elle parle comme un livre (sans doute le métier qui veut ça. Enfin lui ça l'excite pas plus que ça). Lorsqu'elle a fini, il glisse, sarcastique : " Vous êtes poétique." Et c'est vrai. Imaginer ailleurs, écouter la bruit qui tombe, c'est bien une activité d'nana ça. Si Joy était là, elle lui dirait d'arrêter avec ses préjugés à la con. Seulement voila, c'est sa dernière soirée en célibataire. Enfin, en non marié. Il pousse un vague sourire et regarde son croquis.
On lui a jamais appris à dessiner en réalité. Il est pas très bon. Il passe la langue sur ses lèvres (une sorte de tic qui le reprend dès qu'il réfléchit à toute allure). Il se redresser, pose ses deux mains sur ses épaules, puis d'un geste ferme, l'allonge doucement sur le lit, sur la poitrine. Il relève une de ses jambes (prend tes aises), et puis il dit : " Ca sonne un peu faux tout ça, enfin pas très vrai, enfin pas très ... hm... Clair." Il fronce les sourcils. " Rentrez plus dans le concret." Et il se remet à dessiner.