(2013) when my time is up, have i done enough /charlotte

L'appartement dans lequel vivait Daniel depuis maintenant plusieurs années, dans le centre de Rockland, était encore une fois dans un désordre absolument affreux. Il en était à sa troisième tasse de café, ses partitions trainant un peu partout: sur son bureau, sur son lit, à ses pieds. Il avait passé toute la soirée et toute la nuit à retravailler une chanson, pour finalement être assez convaincu aux alentours de deux heures du matin. Assez convaincu, du moins, pour appeler Charlotte, plusieurs fois, jusqu'à ce qu'elle finisse par répondre et lui dire qu'elle allait venir. Il passait ses nuits à la harceler pour qu'elle vienne lui donner son avis, ou qu'elle vienne chanter pour lui. Pas de parties de jambes en l'air, contrairement à la plupart des personnes qui venaient lui rendre visite en plein milieu de la nuit. Non, elle, c'était différent. Elle était différente, pour lui, et il le savait bien. Après l'avoir harcelé assez longtemps pour qu'elle réponde et accepte de venir malgré l'heure, il rangea rapidement sa chambre, où se trouvait son synthé et sa guitare, une pièce qu'il utilisait plus pour composer que pour dormir, surtout ces derniers temps. Il ne s'était jamais mit autant à fond dans un projet, au point d'en faire des nuits blanches. Il était totalement décalé, mais ça en valait le coup. Il n'en doutait pas. Il quitta finalement la chambre en entendant la sonnette de son appartement retentir, signe que la jolie blonde qu'il attendait été là. Il s'activa jusqu'au salon pour venir lui ouvrir la porte, un grand sourire aux lèvres.

C’est dans le plus grand et beau soupir d’aise et de soulagement que je m’enfonce dans mon matelas. Je. Suis. Fatiguée ! Je n’ai pas assez dormi la nuit dernière, que j’ai passé chez Daniel à feuilleter son dictionnaire de synonymes pour essayer de l’inspirer un peu. Puis la nuit d’avant, aussi. Et on pourrait résumer ça en toutes les nuits depuis quelques mois, en fait. Mais j’ai pris le rythme, plus ou moins, et j’arrive d’habitude à survivre avec une bonne dose de café. Mais aujourd’hui, cette petite boisson magique n’a pas suffi. Aujourd’hui était organisé au lycée une journée mathématiques, pour un sombre concours qui ne rapportera jamais rien à personne, et j’ai dû passer de tables en tables, d’élèves en élèves et de problèmes en problèmes toute la journée. Et je n’en peux juste plus. Alors cette nuit, je dors. Pas de Daniel. Je fais bien attention à mettre mon portable en silencieux avant d’éteindre ma lampe de chevet et de me retourner pour m’endormir dans l’instant. J’aurai dû m’attendre que ça ne suffirait pas. Malgré mon manque de sommeil, la lumière de l’écran m’a réveillé. Soupirs, grommellements, c’est non je dors… Au bout de la troisième fois, cependant, je ne peux me résoudre à l’ignorer. Pour la bonne raison que… J’ai bon cœur. Je suis tout de même assez mécontente pour vouloir me faire désirer, et je fais ma difficile. Non, Daniel, j’ai très envie de dormir. Oui, je sais que c’est important. Bon, d’accord, mais je viens en pyjama, je m’en fiche. A tout de suite. Oui, venir en pyjama est le seul compromis que j’arrive à exiger. Je suis faible. Avec un peu de rage, je rejette mes couvertures et me contente simplement d’enfiler mon manteau avant d’attraper mes clefs de voiture pour aller chez Daniel. J’ai prévenu. Je ne peux pas être une déesse de la beauté à deux heures du matin.

Lorsque je sonne à sa porte, j’essaie de forcer mon visage en une expression mécontente. Mais il suffit qu’il m’ouvre avec son sourire, fier, sur les lèvres pour que je fonde littéralement sur place et que toute ma rancœur disparaisse. Bon sang… « Hey ! » Je le salue, avec un sourire également. J’entre, sans faire attention au désordre dont j’ai l’habitude, et file directement prendre ma place sur le canapé où je m’enveloppe dans une couverture. Et dire qu’il y a un quart d’heure à peine j’étais dans mon lit… Léger regret, tout de même. Je porte toute mon attention sur Daniel. Je suis là pour une raison, après tout. Autre que remarquer son air accompli et son sourire colgate, oui. « Alors ? » Je demande, un peu impatiente. Le voir bosser et avancer sur son musical est devenu quelque chose d’important pour moi. Beaucoup trop important, sans doute. Mais je le vis plutôt bien.

Même au beau milieu de la nuit, elle lui semble toujours radieuse. Son sourire a le don de le faire sourire encore plus, à chaque fois, et peu importe le contexte. — Hey. Il la laissa entrer, se décalant légèrement de la porte pour qu'elle puisse passer sans problèmes, puis referma derrière elle. Il en profita pour jeter un aperçu à sa tenue. Elle était encore en pyjama. Le brun ne put s'empêcher de lâcher un petit rire en le remarquant. Certes, elle le lui avait dit, mais il ne l'avait pas cru. Lorsqu'une fille se pointait en plein milieu de la nuit chez lui, c'était généralement en mini robe, ou simplement en sous-vêtements, avec un imperméable par dessus. Certainement pas comme ça, mais il s'en fichait. Encore une des raisons pour lesquelles c'était différent, avec Charlotte. Il vint s'asseoir près d'elle, sur le canapé, alors qu'elle s'enveloppa dans une couverture qui trainait. — Tu veux un café ? T'as l'air... épuisée. Plus attentivement, il la détailla du regard, surpris de la voir aussi fatiguée. Lui, il pouvait dormir la journée. Il ne travaillait pas, alors resté éveiller jusqu'à quatre heures du matin n'était pas un soucis. C'était différent pour Charlotte. Elle travaillait, dans une école qui plus est. Sa vie était loin de la sienne, même s'il avait tendance à l'oublier. — Je commence à m'en vouloir de t'avoir fait venir si tard, lâcha-t-il doucement avec un léger sourire sincère aux lèvres.

Le jour où je demande à Daniel de me prouver ma gratitude et de me rembourser toutes mes heures de sommeil perdues en muffins… Eh bien, l’entreprise de muffins qu’il choisira fera fortune. Et oui, je considère sérieusement cette option, prête à tenter de calculer le nombre d’heures exact, tandis que je me rends chez lui. Mais c’est vite oublié dès qu’il m’ouvre la porte avec un sourire. C’est toujours oublié dès qu’il me sourit. Par contre, il n’a pas le droit de se moquer de mon pyjama à fleurs vieux comme le monde. Je l’avais prévenu. « Sache que je possède des pyjamas beaucoup plus séduisants. » Je l’informe, au passage, mine de rien. Mes maigres tentatives de flirt avec le brun n’ont jamais été fructueuses, j’ai appris à faire avec. Je rentre chez lui et vais retrouver ma place habituelle sur son canapé, presque immédiatement suivie par le génie. Bon, allez, vite ! Je suis impatiente d’entendre sa chanson, et de retourner dormir tout de suite après, comme si ça allait arriver. Je fronce légèrement les sourcils lorsqu’il me demande si je veux un café. Parce qu’au passage, il m’informe que j’ai une sale tête et ça plus le pyjama, je me place à moins dix sur l’échelle de charisme naturel. Mais aussi parce que c’est le moment de la grande décision. Café égal petite dose d’adrénaline pour quelques heures égal Charlotte ne va pas se rendormir tout de suite. Et Charlotte a ce fol, fol espoir de pouvoir se rendormir tout de suite. « Mmh, non ça ira, je te remercie. Avec un peu de chance, je me serais rendormie dans une heure. » Et donc ça fera déjà un muffin, merci bien. — Je commence à m'en vouloir de t'avoir fait venir si tard, Un sourire prend place sur mes lèvres. « Aaaw ! » Il est adorable. Et j’hésite entre l’embrasser de s’inquiéter un tantinet pour moi, ou à le faire culpabiliser un peu plus. En vue de ma non relation avec Daniel et mon manque certain de bravoure… On prend la dernière option ! « C’est vrai que tu abuses un peu, quand même. » Je lui dis, d’une voix très sérieuse, avant de me mettre à rire doucement. Je plaisante, bien évidemment. Je ne serais pas là si je n’en avais pas envie, lui comme moi le savons. « C’est pas grave, t’en fais pas, j’ai juste eu une très longue journée. » Et j’aurai aimé avoir une très longue nuit aussi, mais dans la vie on n’a pas toujours ce que l’on souhaite, ah.

Il est vrai qu'il abusait. Clairement. Au début, il attendait la matinée avant de l'appeler, mais au fur et à mesure, elle lui avait semblait tellement motivée qu'il se fichait pas mal de savoir quelle heure il était. Elle venait toujours, même au milieu de la nuit, s'il avait besoin d'elle pour une chanson. Son petit commentaire sur ses pyjamas l'amusa. Il ne s'était même pas posé la question, mais ça ne l'étonnait pas trop. Il avait du mal à l'imaginer avec ce pyjama à fleur lorsqu'elle passait la nuit avec un homme. Quoi qu'à ce qu'il en savait, ça n'était pas le cas. Elle ne passait pas la nuit avec qui que ce soit, si ce n'était avec Daniel, pour la musique. Ou peut-être était-elle simplement trop discrète. Un léger sentiment s'empara de son estomac, sans qu'il ne sache vraiment ce que c'était. De la jalousie, mais il était incapable d'y mettre un mot dessus. Ça faisait bien longtemps qu'il n'avait pas eu ce genre de sentiments par rapport à une femme. Il ne releva pas, se contenta de l'écouter alors qu'elle s'emmitouflait déjà dans la couverture qui trainait sur le canapé. Il abusait un peu. C'est elle qui le disait. Effectivement, la faire venir si tard, personne d'autre n'aurait accepté. Elle lui passait tout. Même si, généralement, elle refusait d'abord de venir, elle finissait toujours par craquer. Daniel était persuadé qu'au fond d'elle, elle voulait venir, et qu'elle aimait simplement le faire patienter et l'entendre la supplier pour qu'elle vienne jusqu'au petit appartement du centre de Rockland. — Vois ça comme un compliment, répondit-il, pour se rattraper légèrement et faire passer la pilule. — J'aurais pu appeler qui que ce soit, mais c'est toujours toi que je contacte. Il lui sourit sincèrement, bien qu'il était légèrement amusé. Charlotte n'était pas la seule à qui il faisait voir ses travaux. Il aimait avoir des avis variés, des critiques constructives, tout sorte de commentaires. Au fond, une comédie musicale, il faut que ça plaise au public. Mais Charlotte, c'était différent. Il la faisait venir pour autre chose que ses avis et ses idées. — C'est parce que tu m'inspires. Ta voix m'inspire. Il la fixa longuement, hésitant un peu à répondre à sa remarque sur sa longue journée. Les journées de Daniel était plutôt simple. Il ne se levait pas avant le début de l'après-midi, il sortait prendre un café ou un sandwich, puis il rentrait faire un brin de ménage avant de se remettre à son piano, ne le quittant pas avant la tombée de la nuit, seulement pour manger avant de s'y remettre, jusqu'au milieu de la nuit. Mais il le savait, c'était différent pour Charlotte. Elle faisait partie de ceux qui ont des horaires humains, un travail toute la journée, bref, une vie relativement normalement, contrairement à celle de Daniel. La vie d'artiste, c'est ce qu'il aurait répondu à chaque remarque sur son style de vie. — T'aurais pu me dire non, tu sais. Il réfléchit quelques secondes. Elle lui avait dit non, bien entendu. Plusieurs fois, puis elle avait fini par craquer tant il avait insisté. Il rajouta finalement: — Enfin, si tu veux en parler, je suis là pour ça, aussi.

Il ne réagit pas à ma remarque sur mon pyjama et je ne souris qu’un peu plus. Bien sûr qu’il ne réagit pas, il ne le fait jamais. Je suis habituée. Mais au cas où, je préfère subtilement lui rappeler que je reste une femme. On ne sait jamais. Puis je prends place sur le canapé, refuse sa proposition de potion magique pour rester éveillée. Ce soir j’ai le fol espoir que nous n’en aurons pas pour longtemps. Le fol espoir de pouvoir dormir un peu plus que d’habitude cette nuit. Ça doit commencer à se voir, que je suis fatiguée. Assez pour qu’il m’en fasse la remarque. Et assez pour que je tente de le faire culpabiliser, pour le taquiner. D’après lui, il faut que je voie ça comme un compliment et je fronce les sourcils. Oui ? Je ne suis pas sûre de voir où est le compliment dans le fait de manquer de sommeil. En fait, si, je le vois. Je ne suis juste pas très douée pour prendre les compliments ? — J'aurais pu appeler qui que ce soit, mais c'est toujours toi que je contacte. Un léger rire m’échappe à sa remarque. Je ne suis pas sûre que me comparer à n’importe qui aide beaucoup à arranger son affaire. Mon rire cesse dès qu’il me dit que je l’inspire. Je le sais, ça. Il me l’a déjà dit. Mais ça me fait toujours une sensation… étrange, de l’entendre. Ça me fait toujours bizarre de savoir que je suis importante, même juste un petit peu. Je finis par hausser les épaules et lui dire que ce n’est pas grave. J’ai juste eu une longue journée, pour le coup, alors le réveil et le trajet sont assez difficiles. — T'aurais pu me dire non, tu sais. Je glousse et lui sors ma figure de choquée. En plus de chanter comme une déesse, je suis une actrice de tonnerre. « Eh, j’ai dit non ! » Comme d’habitude. Je dis toujours non, avant de dire oui. « Mais tu sais très bien que je ne peux plus me passer de ces escapades nocturnes. » C’est presque si je ne m’inquiète pas, maintenant, lorsque je n’ai pas été réveillé par l’un de ses appels en plein milieu de la nuit. C’est incroyable à quel point il a réussi à prendre une place si importante dans ma vie, en si peu de temps. Alors que je le connais depuis… Très longtemps.

— Enfin, si tu veux en parler, je suis là pour ça, aussi. Je l’observe, silencieuse, quelques secondes. A vrai dire… Il n’y a pas grand-chose à dire. Mais ça me touche, qu’il veuille prendre ce rôl. Ça me touche de savoir qu’au final, on n’est plus que des partenaires de comédie musicale. Ou peu importe le nom de ce que nous sommes. Je finis par sourire avant de hausser à nouveau les épaules. « C’est rien, vraiment. Le lycée a organisé un tournoi de mathématiques et j’ai passé ma journée entière avec des adolescents stupides et beaucoup trop chamboulés par leurs hormones. » Ma vie est devenue si banale, oui. Ah non, attendez, ce n’est pas tout. « Et il n’y avait plus de yaourt au chocolat à la cantine. » Voilà. Maintenant, il ne faut pas s’étonner pourquoi voir Daniel en plein milieu de la nuit m’enchante autant. « Mais c’est tout, je n’ai rien de plus intéressant à te raconter ! Ton tour ! » C’est lui le génie, après tout. Et lui qui a une vie beaucoup plus trépidante que la mienne.

Si elle n'avait pas été elle, Daniel aurait sûrement mit Charlotte dans son lit depuis des mois. Elle était belle, une beauté naturelle à laquelle aucun homme ne pouvait résister. Aucun homme, sauf Burr. Il s'était tellement habituée à elle comme à cette amie passionnée, la voix parfaite pour son musical, celle qui débarque au milieu de la nuit sans idée derrière la tête. Et tous les soirs, quand elle débarquait après qu'il l'ai supplié pendant des heures, il l'aimait un peu plus. Amicalement. Il la trouvait adorable, belle et tellement talentueuse qu'il lui arrivait de douter de son propre talent face à elle. Mais c'était tout. Ses idées n'allaient jamais plus loin, pour une raison encore obscure pour lui. Lui qui avait tendance à s'envoyer en l'air avec n'importe qui, dès qu'il en avait l'occasion. De toute façon, elle méritait bien mieux que ça, et il le savait bien. Elle sembla troublée lorsqu'il lui annonça qu'elle l'inspirait. Ce n'était pas la première fois qu'elle avait cette réaction, et ça fit sourire Daniel un peu plus. Elle réplique qu'elle avait dit non, pour ce soir, et le brun lâche un petit rire. — Tu dis toujours non, et ça veut toujours dire oui. Alors c'est dur à savoir, à la fin, si tu veux venir ou pas. Il la taquina un peu à son tour. Il fallait bien qu'il se venge, elle passait son temps à l'embêter et à le faire culpabiliser. Effectivement, il sait qu'elle adore ces escapades nocturnes. Ces moments où elle débarque, à n'importe quelle heure de la nuit, juste parce qu'il le lui a demandé, et se comporte comme si tout ça était parfaitement normal. Venir chez lui au milieu de la nuit, en pyjama, pour chanter des chansons qui seront toujours là le lendemain. Mais non, Daniel préfère toujours les entendre le soir même. Elle raconta finalement sa journée. Un bout de sa journée, quelque chose qu'elle n'a pas l'habitude de faire. Mais ça fit plaisir à Daniel, malgré tout. — Je peux rien dire, moi aussi j'étais un adolescent stupide et chamboulé par mes hormones. J'ai pas beaucoup changé d'ailleurs. Un air sérieux au visage pendant quelques secondes, il finit par lâcher un petit rire, secouant doucement la tête. — J'ai pas grand chose à te raconter, tu sais. Je me lève à l'heure où tu as déjà fini la moitié de ta journée, je vais manger un bout et je me met à ma musique. Mes journées se ressemblent un peu toutes, alors bon. Il lui lança un petit sourire. Pour lui, c'était lui qui avait la vie banale. Il ne faisait quasiment rien, hormis écrire ses morceaux et son livret, tentant de rentre tout le plus potable possible. Il savait que quand il partirait à New York, tout devrait être parfait. Le moindre mot, la moindre note. Il ne pouvait pas rater son coup.

Je plaide coupable. Je dis toujours non, mais ça veut toujours dire oui. Ce n’est pas de ma faute si j’ai le réveil difficile, moi ! Et puis, une femme doit bien se faire désirer. Mais il sait bien que je me languis de sa présence et de cet étrange arrangement qui est le nôtre depuis quelques mois. Il sait bien que je viendrais, toujours. Parce que j’en ai envie. Et pour d’autres sombres raisons tues. Mais il est là, cet habituel sourire sur mon visage. Elle est là, cette petite chaleur dans ma poitrine dès que je suis en sa présence. Dès qu’il me sourit, dès qu’il semble se soucier un minimum de moi. C’en est presque pathétique. Mais je pense que je suis toujours trop fatiguée pour m’en soucier vraiment. Voilà que j’en viens à lui raconter ma journée. Il n’y a rien d’intéressant, en fait. C’était juste une longue journée, beaucoup plus longue que d’habitude. Et si normalement je dois avoir affaire à une petite poignée d’adolescents, aujourd’hui j’ai eu le droit à une petite poignée fois dix et c’était vraiment épuisant. — Je peux rien dire, moi aussi j'étais un adolescent stupide et chamboulé par mes hormones. J'ai pas beaucoup changé d'ailleurs. Je lève les yeux au ciel, pour témoigner de mon amour pour les adolescents, avant de me mettre à rire. D’accord, okay. Pour l’image d’un Daniel assis sur un bureau de lycéen en train de rêvasser sur ses camarades au lieu de bosser ses maths… Je ris. « Woaw, je ne suis pas sûre de vouloir passer mes nuits avec un adolescent ! » Je passe déjà mes journées avec, alors non, ça ira merci bien ! Mais parce que j’ai parlé de ma vie banale, c’est à son tour de me parler de ses… Nuits-journées ? De son rythme de vie décalé, en tout cas. Et il n’y a pas grand-chose à raconter, mais si un peu quand même. A part des adolescents boutonneux, moi je n’ai rien. Lui, il a… la liberté. De faire ce qu’il veut. Il l’a prise il y a quelques mois, cette décision de faire ce qu’il désire. Et d’accord, peut-être qu’en ce moment une routine s’installe mais… « Tu vis ton rêve, non ? » C’est ça, le plus important dans l’histoire, pas vrai ? « C’est ce qui compte le plus. » J’aimerai être aussi ambitieuse que lui. Enfin, pour ça, il faudrait déjà que j’ai un rêve aussi grand et que je me donne les moyens de l’accomplir… Mon petit rôle dans son histoire me convient assez. « On va toujours à New York, toi et moi ? » Je demande, presque interdite, en chuchotant. Parce que je crains que ce soit ça, mon rêve, désormais. New York. Avec Daniel. Broadway… Et que le prononcer le rend beaucoup trop réel, que ça me fait placer beaucoup trop d’espoir en une seule personne et que je ne devrais pas.

Le brun lâche un léger rire à sa réponse. Il sait bien qu'elle rigole. Sinon, elle ne viendrait pas au milieu de la nuit. Elle le connaissait bien maintenant, elle connaissait son caractère, son comportement. Ce n'était pas un mec chiant, pas avec elle en tout cas. Pas quand ils se retrouvaient tous les deux assis sur le canapé de l'appartement bordélique de Daniel, ou au  piano, à chanter une de ses nouvelles chansons; Elle le connait, et il sait très bien qu'elle le supporte très largement. Finalement, il se contente de l'écouter parler de son rêve, comme si sa vie était réellement intéressante. Il a parfois du mal à imaginer qu'avant, sa vie était totalement différente de ce qu'il fait aujourd'hui. Il y a seulement quelques mois, en fait. Il a tout lâché pour se consacrer à sa musique, mais il ne le regrette pas. — T'as raison, c'est le plus important. J'ai pas prit cette décision pour rien. Un sourire toujours collé aux lèvres, il regarda la jeune femme, avant de passer d'un geste presque naturel sa main dans ses longs cheveux, remettant une de ses mèches de cheveux derrière son oreille. Il se sentait vraiment reconnaissant de l'avoir dans sa vie, depuis quelques semaines. Elle était toujours là pour lui tenir compagnie, lui donner de nouvelles idées, l'inspirer. — Bien sûr, qu'on part toujours. Dès que tout sera... absolument parfait. Il en était tellement certain. Tous les deux, avec sa musique et la voix de la belle Charlotte, ils allaient conquérir tout Broadway. — On aura qu'une chance. Faut pas la manquer. Il lui fit un nouveau sourire, assez stressé. Il savait bien qu'il n'avait qu'une chance sur cent de trouver un producteur pour son musical, mais il continuait d'y croire. Il devait y croire.

Sans doute qu'une part de moi envie Daniel. Pas seulement parce qu'il est aussi séduisant qu'intelligent. Mais parce qu'il a eu le courage de tout abandonner pour réaliser son rêve. Tout le monde n'en est pas capable. Je ne sais pas si j'en aurais fait autant, à sa place. Je pense que j'aurais fait en sorte de mélanger les deux, le boulot et le musical, avant de finir par me dire que tout ça ne servait à rien et que je n'étais pas assez talentueuse. Et laisser tomber. Non, donc. Mais je suis prête à tout abandonner maintenant, pour voir Daniel réaliser son rêve et réaliser un bout de celui que je m'autorise depuis peu à avoir. J'ai toujours aimé chanter, n'ayant jamais été une grande fan du silence. Ça occupe, ça enjaille... ça couvrait les cris de Papa Conley et les pleurs de Maman Conley lorsqu'ils avaient dépassé leurs limites. J'ai participé à la chorale et monté quelques musicales au lycée, et il m'arrive aujourd'hui encore de passer par la salle de répétition pour observer et donner un avis aux collègues. Mais c'était tout, jusqu'à ce que Daniel ne vienne me chercher pour que je l'aide à rendre vivant son musical. Et même si je clame toujours haut et fort à quel point ça m'enquiquine... Ce n'est pas le cas. J'aime voir les avancées de son travail, j'aime pouvoir observer son génie au quotidien et j'ai clairement de la chance de pouvoir être à ses côtés durant tout ce temps. Parce que j'en suis convaincue, ça va marcher.

C'est le cœur battant que je lui demande si on va toujours à New York. Lui et moi. Et c'est à cause de son mince rapprochement pour recaler l'une de mes mèches folles derrière mon oreille que j'ose croire à ce nous que je fantasme un peu trop. Un léger sourire s'inscrit sur mes lèvres, mon rythme cardiaque ne s'arrange pas. J'acquiesce à sa réponse. On part toujours, quand ce sera prêt. Pas tout de suite. Mais un jour. — On aura qu'une chance. Faut pas la manquer. Il est stressé, plein de doutes, je le vois. Mais j'ai vraiment confiance en son talent, en l'histoire qu'il met en scène... Je sais que c'est quelque chose de grand, et que je ne suis pas simplement débordée par mon trop plein de sentiments. J'attrape sa main restée près de moi et la serre légèrement. « On va y arriver. » Parce qu'on aura travaillé dur pour, parce qu'on en aura envie et parce qu'on y croit. Et puis, les mousquetaires ont décidé que l'union fait la force et il n'est pas seul dans l'affaire. Je finis par relâcher sa main et pousse un léger soupir, pour essayer de (re)prendre mes esprits, chasser ces rêves encore lointain et pour que mon cœur se calme un peu aussi... « Bon, on la tente cette chanson ? » Je n'ai plus l'espoir de retourner me coucher très vite maintenant, mais j'ai très envie de découvrir ce qu'il a écrit cette nuit.

La main de la jeune femme attrape la sienne, faisant disparaitre le peu d'angoisse et de stress qui venait de s'emparer de lui. C'était une des raisons pour lesquelles ils étaient si proche, aujourd'hui. Elle le rassurait, le motivait. Il savait que ce n'était pas que sa voix, qui l'inspirait à écrire de nouvelles chansons. C'était elle, qui elle était, ce qu'elle dégageait. Sans elle, il n'en serait pas là. Il serra légèrement sa main en retour, un sourire aux lèvres alors qu'il la regarda attentivement. C'était à se demander comment il ne se rendait pas compte des sentiments qu'il éprouvait vraiment pour elle. Mais, tel un artiste passionné, il ne voyait que son travail et ne pensait que par sa musique. Il y a bien longtemps qu'il ne s'était pas accordé d'avoir des sentiments pour qui que ce soit. Pourtant, pour Charlotte, il aurait pu se laisser craquer sans trop de difficulté. — T'as raison, on va y arriver, rajouta-t-il un large sourire aux lèvres, le regard toujours rivé sur elle. — Allez, viens. Il se leva finalement, sa main toujours dans la sienne, et la tira jusqu'au piano. Deux tabourets étaient déjà devant, prêt pour que la jeune femme se joigne à lui pour une nouvelle séance de musique. Il posa les mains sur le clavier, commençant à jouer quelques notes avant de s'arrêter pour regarder la jeune femme, un sourire aux lèvres. — Promis, la nuit prochaine, je te laisse dormir. Un petit sourire en coin, il recommença son morceau, jouant et chantant les notes et les mots qu'il avait créé pendant l'après-midi. C'était toujours un moment spécial, lorsqu'il lui jouait une nouvelle chanson. Et pourtant, c'était toujours un vrai plaisir. Et, encore cette nuit, ils allaient rester pendant des heures à jouer et chanter, parler, et rêver de tout ce qu'ils allaient pouvoir réaliser, avec cette comédie musicale.